Un parfum d’enfance dans chaque bouchée
Si vous êtes déjà passé par Lyon en plein cœur du mois de février, vous avez sans doute été happé(e) par une douce odeur de friture et de sucre, flottant entre les ruelles gourmandes des Halles ou les étals du marché Saint-Antoine. Et ce parfum, rassurant et sucré, ne pouvait trahir qu’une chose : la saison des bugnes est arrivée.
À la croisée entre tradition et souvenir, les bugnes lyonnaises sont bien plus qu’un simple beignet. Elles sont une étreinte de l’hiver, un petit bout de terroir à savourer du bout des doigts. Et aujourd’hui, je vous embarque pour un voyage au cœur de leur histoire… et dans votre cuisine.
Les origines d’une douceur ancestrale
Les bugnes, comme beaucoup de recettes régionales françaises, ont une histoire qui remonte loin – très loin. On en trouve les premières traces dès l’époque romaine, sous forme de beignets de pâte frits dans l’huile, dégustés lors des Saturnales (ces fêtes qui ressemblaient un peu à notre Carnaval moderne). Plus tard, au Moyen Âge, leur consommation se répand à travers l’Europe, en particulier dans les régions catholiques où elles précèdent le Carême.
Mais le mot « bugne », lui, apparaît autour du XVe siècle dans la région lyonnaise. Il viendrait probablement du mot « bunyi », signifiant bosse, en référence à la forme irrégulière et gonflée que prend cette pâte friande une fois plongée dans le bain d’huile. À Lyon, les bugnes deviennent rapidement un incontournable des festivités hivernales, en particulier autour du Mardi Gras.
Bugnes moelleuses ou croustillantes : un dilemme bien lyonnais
Le saviez-vous ? Il existe deux écoles (et parfois deux camps bien tranchés) pour les bugnes :
- Les bugnes moelleuses, dodues, tendres et légèrement levées. Elles ont un air de cousine éloignée du Berliner, voire du donut (mais en mieux, évidemment).
- Les bugnes croustillantes, fines, craquantes sous la dent, souvent torsadées ou entaillées en leur milieu, et généreusement saupoudrées de sucre glace.
À Lyon, les gourmand(e)s ont généralement une préférence pour la version croustillante, que l’on appelle parfois « bugnes sèches ». Toutefois, certaines familles ont une préférence pour les bugnes moelleuses, plus proches des recettes de Saint-Étienne ou de l’Italie voisine.
Dans ma famille, la bataille fait rage chaque année ! Ma grand-mère jurait par les croustillantes (question de finesse), tandis que ma tante insistait pour des bugnes épaisses qu’on aurait presque pu fourrer. Moi ? Je dis que toute bugne, dès qu’elle est maison, mérite sa place dans l’assiette.
Une recette traditionnelle de bugnes croustillantes
Prêt(e) à vous lancer ? Enfilez votre tablier, sortez le rouleau à pâtisserie, et laissez la magie du sucre et du beurre opérer. Voici une recette classique qui sent bon les hivers lyonnais. Celle que l’on se transmet de génération en génération, griffonnée sur une carte tachée de farine…
Les ingrédients (pour environ 50 bugnes)
- 500 g de farine
- 4 œufs
- 120 g de beurre doux à température ambiante
- 60 g de sucre
- 1 pincée de sel
- 2 c. à soupe d’eau de fleur d’oranger (ou de rhum, pour les audacieux)
- 1 sachet de sucre vanillé (ou les graines d’une gousse de vanille)
- Huile végétale pour la friture (type tournesol ou arachide)
- Sucre glace pour saupoudrer généreusement
La préparation, étape par étape
Le secret réside dans le repos de la pâte et dans le soin qu’on met à l’étaler finement. Voici comment procéder :
- 1. Préparez la pâte : Dans un grand saladier (ou au robot pâtissier), versez la farine, le sucre, le sel et le sucre vanillé. Ajoutez les œufs un par un, puis le beurre coupé en petits morceaux. Terminez par l’eau de fleur d’oranger. Pétrissez jusqu’à obtention d’une pâte homogène et souple. Elle ne doit pas coller aux doigts.
- 2. Laissez reposer : Enveloppez la pâte dans un film alimentaire et laissez-la reposer au frais pendant au moins 2 heures. Ce temps de repos est crucial pour la texture finale. Certains la préparent même la veille !
- 3. Étalez et découpez : Divisez la pâte en plusieurs morceaux pour faciliter l’étalage. Sur un plan fariné, abaissez chaque morceau finement (3 à 4 mm d’épaisseur, pas plus). Découpez des losanges à l’aide d’une roulette (ou d’un couteau bien aiguisé) et entaillez-les au centre si vous souhaitez les torsader légèrement avant la cuisson.
- 4. Faites frire : Chauffez votre huile à 170-180°C. Plongez quelques bugnes à la fois (elles cuisent vite !) et faites-les dorer des deux côtés. Attention, elles peuvent colorer très rapidement ; restez aux commandes.
- 5. Égouttez et sucrez : Déposez les bugnes sur du papier absorbant, puis saupoudrez-les généreusement de sucre glace pendant qu’elles sont encore tièdes. Et là, tenez-vous bien… ça sent comme chez mamie un dimanche après-midi.
Quelques astuces pour les réussir à tous les coups
La pâte ne doit pas être trop humide. Si elle colle trop à la manipulation, ajoutez un peu de farine, mais sans excès pour ne pas la rendre cassante une fois cuite.
L’huile ne doit pas être bouillante. Une huile trop chaude brûlera vos bugnes à l’extérieur tout en les laissant crues à l’intérieur. Une température autour de 175°C est idéale. Une fois dorées (comptez 1 à 2 minutes par face), elles sont prêtes.
Pensez aux variantes ! Certains aiment intégrer un zeste de citron ou d’orange dans la pâte pour un parfum encore plus subtil. D’autres ajoutent une goutte de Grand Marnier pour une touche raffinée.
Faire vivre la tradition chez soi
La magie des bugnes, c’est qu’elles rassemblent. Rien ne vaut une après-midi à faire tourner les rouleaux à pâtisserie en famille, pendant que les enfants saupoudrent joyeusement (ou sauvagement !) le sucre glace un peu partout. C’est ce genre de moments simples, sucrés et partagés qui dessinent nos plus beaux souvenirs gustatifs.
Et puis, avouons-le, on les aime aussi parce qu’elles sont terriblement addictives. Une bugne en appelle une autre. « Juste encore une petite », dirons-nous, la bouche poudrée et les poches pleines de miettes.
Et si l’envie vous prend de sortir les goûter ?
Si vous êtes de passage à Lyon pendant la saison, plusieurs adresses proposent de délicieuses bugnes faites maison. Citons entre autres :
- La Maison Pignol, institution lyonnaise qui propose des bugnes à se damner.
- Jocteur, célèbre pour ses pralines, mais dont les bugnes valent aussi le détour.
- Aux Deux Amis, une boulangerie de quartier où les bugnes sortent parfumées et croustillantes chaque matin de février.
Mais l’ultime bonheur reste peut-être celui de les cuisiner soi-même, avec ou sans musique en fond, entre éclats de rire et effluves de friture. Car, oui, les bugnes lyonnaises ne sont pas qu’un dessert : elles sont un rite, une madeleine de Proust drapée de sucre glace, et surtout… une formidable excuse pour partager du bon temps.
Alors, qui succombe à l’appel des bugnes cette année ? 🍩
